Le concept de « pool génétique » est né de la culture populaire. Il fait l’objet de plaisanteries, mais son origine est très sérieuse. Elle remonte au généticien russe Aleksandr Sergeevich Serebrovskii, qui a créé le terme genofond (« fond de gènes » en français) en 1926 pour désigner l’ensemble des gènes (le génome) trouvés dans un groupe d’organismes. Rapidement traduit par le terme « pool génétique », le genofond est donc une source de diversité à exploiter par les organismes pour s’adapter à un environnement en pleine mutation ou par les scientifiques pour améliorer les plantes génétiquement ; et donc les récoltes.
On dit que les espèces sauvages apparentées à une plante cultivée donnée sont de son pool génétique, car quand bien même elles sont de variétés différentes, elles peuvent tout de même échanger des gènes avec leurs cousines cultivées ; même si elles ne savent pas vraiment de quelle manière s’y prendre. Malheureusement, toutes les espèces sauvages apparentées à des plantes cultivées n’en sont pas capables. C’est la raison pour laquelle Jack Harlan et Jan de Wet, deux pionniers du mouvement de conservation de la diversité des cultures, ont décidé de diviser le pool génétique en deux parties distinctes.[i] Dans leur système, les ESPC sont divisés en deux groupes en fonction de leur facilité à échanger des gènes avec les espèces cultivées auxquelles elles sont apparentées. Dans ce système, on dit que les espèces sauvages apparentées font partie du pool génétique primaire, secondaire ou tertiaire de l’espèce cultivée.
Elles forment comme des cercles concentriques autour de l’espèce cultivée (ou un triangle à plusieurs niveaux comme sur le diagramme ci-dessous). Le pool génétique primaire (PG1), la première couronne, comprend les variétés qui peuvent être directement croisées avec la variété cultivée afin d’engendrer une progéniture abondante, forte et fertile. Par exemple, le pool génétique primaire du tournesol est composé à la fois de variétés cultivées et d’espèces sauvages Helianthus annuus. Il en est de même pour l’Helianthus winterii, une espèce vivace que l’on trouve dans les contreforts sud de la Sierra Nevada, en Californie. Les gènes de l’H. winterii sont faciles à transférer au tournesol de culture. On pourrait même les qualifier de sous-espèces d’une même espèce.
Le pool génétique secondaire (PG2) est composé d’espèces sauvages apparentées à des plantes cultivées qui sont différentes des espèces cultivées, mais encore suffisamment proches pour être croisées avec l’espèce cultivée dans une certaine mesure afin de produire une progéniture fertile. C’est le deuxième cercle concentrique autour des espèces cultivées. Il est plus difficile d’utiliser des espèces du pool génétique secondaire, car il existe différents types d’obstacles à la reproduction entre les espèces de ce pool et les espèces cultivées. Par exemple, Aegilops tauschii et Aegilops speltoides, deux espèces sauvages du pool génétique secondaire apparentées au froment (Triticum aestivum), sont diploïdes. Cela signifie qu’elles possèdent des chromosomes en deux exemplaires homologues alors que le froment est hexaploïde (il en possède six exemplaires). De tels écarts sont des sources de difficulté pour les sélectionneurs. De plus, certains hybrides résultant de croisements avec des espèces du pool génétique secondaire sont en partie stériles ou tout simplement faibles.
Le pool génétique tertiaire (PG3) est composé d’espèces sauvages apparentées à des plantes cultivées encore plus éloignées. On pourrait les comparer à un oncle misanthrope et reclus qui vit seul dans une cabane, en forêt. Pour réussir à faire intervenir ce type d’espèces sauvages apparentées dans l’amélioration génétique des plantes cultivées, elles doivent être « amadouées » en ayant recours à des techniques reproductives spécifiques comme la récupération d’embryons ou comme les « croisements ponts » avec des membres du pool génétique secondaire. Ces opérations difficiles ont mené le sélectionneur Harry Harlan à déclarer qu’il serait « plus facile de croiser un sélectionneur avec un singe que d’utiliser des espèces sauvages pour l’amélioration des cultures ».[ii] Même lorsque l’amélioration génétique réussit, la progéniture engendrée est souvent stérile ; tout comme les mules. C’est le cercle concentrique le plus éloigné des espèces cultivées. Pour toute espèce plus éloignée, il faut recourir aux biotechnologies pour transférer les gènes.
Si une sélectionneuse veut utiliser des espèces sauvages apparentées à des plantes cultivées, elle préférera évidemment utiliser des espèces du pool génétique primaire. Toutefois, il peut malheureusement arriver que des caractéristiques génétiques précieuses soient contenues dans des espèces du pool génétique tertiaire. Fort heureusement, les dernières avancées techniques en matière d’amélioration génétique facilitent quelque peu l’utilisation d’ESPC assez éloignées. Par exemple, les expériences réalisées ont démontré que l’espèce de riz sauvage Oryza coarctata qui pousse sur les rives des estuaires indiens possède l’une des meilleures tolérances à l’eau saline du pool génétique du riz sauvage.[iii] Néanmoins, explorer ces gènes exige beaucoup de travail et des années d’effort.
Parfois, nous ignorons la facilité avec laquelle nous pourrions croiser une espèce avec la plante cultivée à laquelle elle s’apparente. L’expérience n’a tout simplement pas été encore menée. Dans de tels cas, les chercheurs utilisent un témoin. Ils partent de l’hypothèse qu’il existe une corrélation entre la proximité résultant du processus évolutif et la facilité de croisement. Inventé par Maxted (et collab.) (2006), le concept des « taxons » utilise les classifications taxonomiques existantes basées sur la proximité résultant du processus évolutif pour prédire si les espèces qui seront le plus facilement utilisables.[iv]